Le malaise latent de l’agriculture française et les difficultés souvent bien réelles de nombre d’agriculteurs, viennent d’occuper la une des médias. Avec comme réponse politique, surtout destinée au syndicalisme dominant, tout un catalogue de mesures qui ont en commun de sacrifier la protection de l’environnement, l’agroécologie, et donc la qualité nutritionnelle des aliments, si importante pour notre santé. Cela peut-il répondre aux attentes et parfois à la détresse des agriculteurs conventionnels de notre région ?
Pour essayer d'y voir plus clair, nous avons choisi d’aller à la rencontre de Jean Marc Couturejuzon qui lors de notre AG de 2020 à Billère nous avait présenté quelques mesures agroenvironnementales mises en œuvre sur sa ferme de 156ha. sise à Araux près de Navarrenx. Nous avions apprécié sa démarche, sa sincérité et ses efforts pour diversifier la production de maïs notamment par des bovins de race Aubrac, valorisés en partie en vente directe.
Nous étions une trentaine ce 24 février à braver la pluie et le froid pour venir à la rencontre de ce dynamique agriculteur. Nous l’avons tout d’abord accompagné pour aller nourrir ses brebis.
Arrêt de l'élevage de bovins
Il a dû se séparer de ses bovins en 2020 suite à quelques animaux positifs pour la tuberculose. Malgré les avertissements du monde agricole, dès 2011 la tuberculose bovine a rapidement progressé à partir des foyers initiaux (Arzacq, Navarenx). Le canton a été très touché et l’abattage de nombreux troupeaux n’a pas permis pour le moment d’enrayer l’épidémie. Conséquence, beaucoup d’éleveurs ne sont pas repartis même si un abattage partiel est actuellement en place si moins de 4 cas positifs. Les compensations financières existent mais font suite à des estimations approximatives et changeantes trop souvent bureaucratiques et déconnectées de la réalité. La viande est malgré tout consommée et vendue pour « rien » à des grossistes. Il a acheté 2 vaches béarnaises en 2022 (seules les positives sont abattues pour cette race menacée...!)
Il s’est donc redirigé vers un troupeau de brebis à viande race romney, race anglaise améliorée en Nouvelle Zélande pour un élevage extensif qu’il conduit quasiment en « bio » même s’il n’est pas labellisé. Une partie est croisée avec des black faces, principale race anglaise pour la viande. Elles sont élevées en plein air sauf pendant les 2 mois d’hiver où elles sont nourries avec du foin (de luzerne et regain de trèfle), maïs maison, compléments de tourteau bio et français (sans OGM, mais plus cher de 150 euros la tonne que le tourteau importé). Il n’utilise pas d’ensilage qu’il considère toxique pour les animaux avec vieillissement accéléré. Les rations sont supplémentées en minéraux de la marque Tonyx pour améliorer leur « redox » : cette société fabrique des compléments pour les animaux et pour les sols.
Les queues des brebis sont coupées pour éviter les mouches à miasmes qui s’implantent en cas de diarrhées. Il est probable qu’une alimentation équilibrée puisse contrôler cela. Elles sont tondues 2 fois par an. La laine n’est plus valorisable, elle est ramassée gratuitement. Son projet d’utiliser cette laine issue de la tonte comme fertilisant pour arbres a malheureusement et étonnamment été stoppé par les autorités sanitaires (risque de prion !!!).
A côté des brebis il cultive plusieurs céréales : 60 hectares de maïs, 20 de triticale, 2 d’avoine, 10 de luzerne, 10 de trèfle, 6 de lin et le reste en prairies.
Depuis 2021 mise en place d’une filière « lin » avec une dizaine de producteurs locaux et une valorisation directe du produit (Atelier de l’ours à Monein) et dépôt de la marque « Lin des Pyrénées ». Fabrication de biscuits sucrés et salés, de farine, de graines broyées (la graine entière n’est pas assimilée). Production également d’huile de lin via un process breveté : 1 seule pression, haute traçabilité, élimination Escherichia coli. Tout est valorisé : zéro déchet.
Entre 2013 et 2019, Jean-Marc a été Président des Jeunes Agriculteurs du 64 et élu à la chambre d’agriculture. Déçu par ces organisations, il ne participe plus qu’à « AGRO Réseau 64 » une association qui met la vie du sol au centre des préoccupations : diminution du labour, couvert végétal, rotation et diversification des cultures. Ces pratiques permettent entre autres de diminuer l’érosion des sols, et le recours à « d’énormes tracteurs ».
Il témoigne, avec sincérité, parfois avec une grande émotion, des difficultés du métier et de la conversion en « bio » notamment par manque de volonté syndicale et politique :
-horaires de travail surréalistes, peu de vacances, vie de famille compliquée
-aides promises (type crédit impôt recherche, aide PAC pour diversification..) qui tardent à arriver et sont souvent revues à la baisse.
-manque de cohésion entre syndicats agricoles
-diminution de la solidarité entre agriculteurs avec investissements souvent inconsidérés (tracteurs à crédit pour plus de 150 000 euros. La mise en commun de matériel, qu’il pratique pour sa part avec succès dans une CUMA, n’est pas toujours privilégiée.
-Fonctionnement d’EURALIS qui, bien que regroupant 5000 adhérents et produisant de gros bénéfices (100 millions d’euros), n’est pas assez à l’écoute des producteurs voire les pousse à investir pour souvent au final racheter les terres si faillite.
-valorisation difficile du bio : par exemple, pour les agneaux « bio », 20% seulement sont valorisés en bio, le reste est vendu en conventionnel, c’est-à-dire moins cher.
-cours des céréales soumis à forte spéculation et variations déconnectées du coût de production : la tonne de maïs est passée de 330 euros en octobre 2021 à 180 euros aujourd’hui.
-le crédit agricole ne suit plus…
-depuis quelques années, spéculation sur la terre agricole avec envolée des prix, rachat par de grosses sociétés avec perte probable de beaucoup d’agriculteurs traditionnels et difficulté d’installation des jeunes dans un futur proche.
Après ces notes assez émouvantes et un peu tragiques, nous avons terminé la matinée par une dégustation des biscuits au « lin » (excellents) et achat des produits avant d’aller partager garbure, filet mignon de veau sauce aux cèpes au Restaurant l’Auberge Claverie, à Audaux.
Contacts : Lin des pyrénées