Le gaz vert obtenu par méthanisation à partir de la biomasse dont peuvent disposer les agriculteurs, suscite quelques espoirs en cette période de pénurie en combustibles fossiles, mais également des controverses, voire des oppositions. Slow Food Béarn sensible aux conséquences que cela peut avoir sur l'agriculture de demain, a donc choisi de faire une sortie un peu atypique pour tenter d'y voir plus clair. Jean Casaubieilh,avait donc préparé une première visite à la SAS Métajoss d'Orin près d'Oloron, qui a très confortablement accueilli notre groupe de 25, dans la fraîcheur matinale de janvier, sur le site d'une ancienne carrière, remarquablement et très proprement aménagé.
Localisée à l'entrée de la petite vallée du Josbaig (connue pour son carnaval) et proche d'Oloron, cette plateforme de méthanisation ( la 4ème du Béarn) entrée en production en 2022, est en fait le résultat d'une longue démarche d'information et de réflexion commencée depuis 2011. Ce groupe de 8 agriculteurs solidaires et soucieux de mieux préserver leurs exploitations face aux aléas de différents élevages, opère dans un cercle volontairement restreint d'une dizaine de kilomètres afin limiter distances et nuisances, même si aujourd'hui ils acceptent quelques lisiers apportés par des voisins. Avec pour objectif de ne jamais faire de déplacement de tracteur à vide. C'est un autre métier métier qu'ils ont progressivement appris, à la fois très technique et de gestion collective responsable, car chacun a apporté 5000€ de capital social et 45000€ sur un compte commun.
Des prêts maîtrisés et des subventions ont permis la construction de cet imposant ensemble très technique, choisi plus pour sa qualité avec les services et la maintenance qui l'accompagnent, que pour un meilleur prix. Et ce choix n'est pas regretté.
Chez les 8 associés la méthanisation a fait évoluer les pratiques culturales en développant les productions végétales intermédiaires à fort pouvoir méthanogène comme par exemple le seigle ou le triticale semés début octobre après l'ensilage du maïs qui reste destiné à l'élevage dans les fermes. Seules ces cultures dérobées sont destinées au méthaniseur après été ensilées avant maturité. Fauchées à 7 cm, elles laissent au sol les racines qui l'enrichissent en matière organique après avoir
amélioré la structure. Ce qui permet aussi d'avoir un sol toujours couvert en hiver (qui limite l'érosion), avant d'effectuer avec seulement un travail très superficiel (sans labour), la mise en place d'une nouvelle récolte annuelle. "Le gros avantage, c'est que nous qui fixons nos prix de vente au méthaniseur, qui absorbe aussi pour 60%, nos lisiers et fumiers.
En contrepartie ils disposent du digestat solide et liquide (85% de la masse initiale) qui épandu chez les sociétaires compense l'utilisation d'engrais, mais soulève la question de la perte possible de matière organique et donc de carbone associé à l'humus dans le sol. Des analyses régulières sont effectuées.
Dans le gaz produit au bout de 70 jours , il faut séparer par un système autonome de filtration, le CO2 rejeté dans l'air, des 60% de méthane qui lui sera injecté dans le réseau GRDF qui par chance existe à 600m.
Après un an de fonctionnement, les objectifs prévisionnels sont dépassés et les associés sont satisfaits et confiants, ils pensent pouvoir ainsi pérenniser leurs exploitations. Leur groupe est soudé , échange avant de décider toutes les semaines dans la convivialité grâce à un confortable bâtiment d'accueil réalisé en autoconstruction. Ils ont acquis le savoir faire d'un nouveau métier et ont pu recruter un salarié qui assure les tâches et l'entretien quotidiens. Ils se félicitent du choix du matériel (de fabrication allemande)proposé par la société PlanET, qui assure aussi maintenance et dépannage à distance puisque tout est connecté y compris aux téléphones des associés qui peuvent à tour de rôle participer à la surveillance de tout le fonctionnement.
L'autre mérite du groupe c'est d'avoir su contenir et répondre à la contestation naissante chez les riverains et y compris au niveau du Conseil municipal lorsque le projet a été rendu public. Un voyage organisé dans le Tarn et un dialogue permanent ont permis de lever les réticences concernant les odeurs (inexistantes lors de notre visite) et le trafic routier.
Une initiative très réfléchie de diversification à forte technicité, pour un groupe restreint d'agriculteurs voulant pérenniser leur activité d'élevage. Elle obtient des résultats déjà prometteurs avec très peu de nuisances, à condition que le prix d'achat du gaz vert se maintienne et
lui assure son autonomie. En surveillant l'évolution d'un sol vivant, la production secondaire d'énergie par méthanisation peut-être une solution acceptable pour quelques groupes restreints
d'agriculteurs se gardant de la démesure.
Encore faut-il que d'autres intérêts , plus industriels, leur laissent une place!
Puisque après avoir racheté en 2021, 7 sites de méthanisation au groupe Agenais Fonroche, TotalEnergies vient de mettre en production le plus grand de France
à Mourenx, il était tentant de comparer. La mise en service trop récente avec les contraintes de sécurité ne permettant pas une visite, nous avons pu avoir des informations assez précises,
communiquées par l'ingénieure chargée du projet, que nous remercions. En fait malgré la différence d'échelle, on reconnait sur la photo un même schéma d'ensemble. Au premier plan les cuves à toit
conique ou est stocké le digestat liquide, les coupoles bleues recueillent le gaz vert méthane après séparation du CO2 qui pour l'heure est rejeté dans l'atmosphère, puis les trois digesteurs
chauffés à 45° hauts de 25m, d'une capacité unitaire de 95000m3, de couleur sombre. Ils dominent une cuve plus petite ou sont préparés les déchets organiques.Le bâtiment principal à droite,
sert à stocker le digestat solide et à la réception des déchets animaux qui doivent être désodorisés et hygiènisés à 70°(notamment dans les 3 petits cylindres noirs). Cette contrainte n'existe
pas pour les déchets végétaux placés sous des bâches( en ce moment pulpe de maïs doux) ainsi que pour des déchets divers stockés tout au fond, dans des containers, près du bassin de décantation.
L'injection du biométhane se fait dans le réseau proche de Téréga.
A terme le site devrait atteindre 160GWh (suffisant pour une population de 35000Hts) absorber presque 230 000T de déchets végétaux, animaux et rébus divers de l'agroalimentaire, récupérés dans un rayon de 50km, et produire près de 200000T de digestat. Des interconnections sont prévues avec d'autres activités du complexe de Lacq qui participent à la reconversion industrielle. Un partenariat a été signé avec la FNSEA et localement, surtout avec EURALIS qui assurera l'essentiel des intrants achetés, pour une faible part aux agriculteurs.Tandis que l'épandage des digestats sera lui aussi contrôlé et réalisé par la
coopérative, ne laissant ainsi à des agriculteurs dépendants, qu'une moindre plus value. Le fort développement du gaz vert par méthanisation, prévu à l'échelle
nationale à l'horizon 2050 par de grandes sociétés va provoquer de fortes tensions au niveau de la biomasse disponible à partir de l'activité agricole. En Bretagne de nombreux méthaniseurs
d'agriculteurs confrontés à des normes et des prix moins favorables passent déjà progressivement sous le contrôle d'ENGIE, en Allemagne une législation plus permissive oriente la production
agricole vers les méthaniseurs et favorise des acquisitions foncières exogènes.
La pénurie énergétique actuelle favorise les grands groupes adeptes du greenwashing ainsi que la centralisation, alors qu'une méthanisation faite par des groupes restreints d'agriculteurs pourrait compléter l'option d'une énergie plus localisée, décentralisée, et mieux contrôlée par la population.
Encore une sortie riche en informations contrastées, agrémentée par un excellent repas à l'auberge Claverie d'Audaux, avec un final à la ferme Lompré de haut où nous retrouvons avec grand plaisir Daniel et Sandrine Larrieu adeptes des saveurs authentiques issues d'un modèle agricole sur sol vivant, régénérant la biodiversité à travers l'agroécologie , privilégiant le bien- être animal avec des animaux élevés à l'herbe ou avec des aliments produits à la ferme en totale autonomie. Après une transformation bien maîtrisée et de qualité, la vente directe valorise au mieux la production agricole. Une alternative plus facilement reproductible que la technicité de la méthanisation, et moins vulnérable face aux grandes structures financières.