Grippe aviaire - le point de vue d'un virologue - juin 2022

 

  Depuis 2 ans nous suivons  l'évolution de cette épidémie de grippe aviaire qui au delà du Sud-Ouest concerne désormais toute la France. Ce printemps ce sont surtout les élevages intensifs  de la façade Atlantique, notamment entre les Charentes et la Bretagne qui ont été le plus sérieusement affectés, avec dans cette zone pratiquement 10 millions de têtes de volailles abattues dans l'urgence d'une flambée épidémique qui ne manque pas d'inquiéter. Car comme le montre notre ami virologue et adhérent de Slow Food , dans un effort de vulgarisation qui reste difficile pour un sujet si complexe, comme tous les virus grippaux qui concernent l'homme , ceux de la grippe aviaire peuvent aussi muter, et la Covid nous a aussi appris ce que cela signifie!

   Jusqu'à présent ces virus sont restés spécifiques de certaines espèces animales. Ce n'est que dans le cas de contacts très étroits et prolongés qu'il peuvent infecter l'homme et même occasionner des morts, Sans toutefois que l'homme infecté puisse transmette à son tour le virus : c'est ce que l'e virologue appelle la barrière d'espèce.

   En Vendée et surtout en Bretagne les élevages industriels de volailles ou les virus foisonnent et les grands élevages porcins, peuvent être très proches, facilitant ainsi les contaminations croisées. Or le porc a la particularité de pouvoir héberger à la fois des virus aviaires et des virus qui concernent surtout les humains, sans pour autant développer des signes de maladie. Cette particularité peut  faciliter un réagencement dans le porc des deux origines de gênes viraux, et une mutation franchissant alors la barrière d'espèce. Ce virus aviaire mutant,  en devenant transmissible d'homme à homme, pourrait alors être à l'origine d'une nouvelle et grave pandémie. D'où l'inquiétude et les décisions de précaution des autorités sanitaires, qui ne souhaitent pas alarmer, mais cherchent, un peu vainement, à juguler tous les foyers de grippe aviaire.

  Malgré ce risque,  on constate que les mesures dites de prévention, mises en place depuis l'automne 2021 et notamment le confinement généralisé de toutes les volailles sur le territoire français, s'avèrent inopérantes et ont échoué face à la fulgurance de la diffusion épidémique . Celle-ci se fait essentiellement à partir des élevages intensifs et claustrés qui sont de véritables fabriques à virus ( des virus il y en a partout y compris dans l'air!) diffusés ensuite par la ventilation, les transports et l'activité humaine bien plus que par les oiseaux migrateurs. Il est donc urgent de changer de méthode et au delà de la pression des lobbies agro-industriels, de repenser totalement les élevages intensifs qui sont la véritable cause des propagations épidémiques. Le bien-être animal y gagnera aussi ! Par contre il est urgent d'accorder des dérogations et exempter de confinement les petits élevages de volailles en plein air, qu'il faut encourager à devenir encore plus autarciques. Avant qu'ils ne disparaissent avec tout le savoir faire et la précieuse biodiversité qu'ils représentent. Bien gérés , s'ils sont accidentellement contaminés , il est possible de maîtriser tout développement anormal de virus moins nombreux, parmi des sujets plus résistants. C'est pourquoi Slow Food Béarn, continue de soutenir le mouvement des Sauve Qui Poules.

  Voici le texte rédigé ce début juin 2022:

 

1.  La structure des virus grippaux

 

 

 

Les virus ont besoin de la machinerie cellulaire d’un végétal ou d’un animal pour se développer. Ils ne peuvent pas se développer sur une matière inerte. C’est pour cela qu’en laboratoire on doit utiliser des lignées cellulaires pour les « cultiver ».

 

Comme tous les virus, le virus de la grippe contient un matériel génétique (ici de type ARN) qui va coder pour 17 protéines. La multiplication du virus dans les cellules permissives (ici les cellules du tractus respiratoires de l’hôte) conduit à l’empaquetage de ces protéines autour de son génome pour créer de multiples virions qui vont sortir de la cellule et se propager. Cette propagation sera d’autant plus importante que le système immunitaire inné ou acquis n’est pas assez puissant pour le stopper.

 

De manière assez remarquable, le virus de la grippe ne contient pas un seul brin d’acide nucléique (comme c’est par exemple le cas des coronavirus). Il possède en effet un génome fragmenté comportant 8 brins d’ARN. Chaque brin code pour 1 ou plusieurs protéines que l’on peut répartir schématiquement en protéines de structure et en protéines enzymatiques.

 

 

 

 

La figure 1 représente l’organisation du virus.

 

 

 

Les protéines de surface ont un rôle majeur dans la compréhension de la pathogénie et de l’évolution du virus. L’hémagglutinine assure la reconnaissance des récepteurs situés sur les cellules du tractus respiratoire (acides sialiques) et elle permet l’entrée du virus dans les cellules. Elle est la cible principale des anticorps neutralisants qui vont être produits contre

les parties antigéniques de sa structure. La neuraminidase est très impliquée dans la diffusion du virus.

 

Les protéines de matrice et de nucléocapside protègent les 8 fragments d’ARN situés au cœur du virus. L’ARN 4 et 6 codent respectivement pour l’hémagglutinine et la neuraminidase.

 

 

 

2.  Hôtes et barrière d’espèce

 

 

 

Comme nous le verrons plus loin l’évolution a généré de multiples types et sous-types de virus grippaux. Les virus influenza de type A (sur la base des caractéristiques de ses protéines N et M) peuvent infecter de multiples espèces animales. La classification en sous-types des virus de type A est basée sur les caractéristiques antigéniques de l’hémagglutinine et la neuraminidase. On décrit ainsi 18 H et 14 N et corollaire des combinaisons H et N multiples. Chaque sous-type sera plus ou moins capable de reconnaitre les récepteurs cellulaires de telle ou telle espèce animale créant ce que l’on appelle une barrière d’espèce. La figure 2 représente la répartition des différents sous types dans les espèces animales. Les protéines H et N portant le caractère pathogène du virus, chaque sous-type aura un comportement différent allant du portage asymptomatique à la mortalité quasi systématique en cas de comptage.

 

 

Figure 2

 

Dans cette diversité il est important de noter que les oiseaux sauvages et les volailles domestiques mais également le porc, peuvent héberger la grande majorité des sous-types alors que l’homme et d’autres mammifères ne sont sensibles qu’à un nombre restreint de sous-types.

 

L’essor du séquençage des génomes viraux permet une caractérisation beaucoup plus fine à l’intérieur de ces sous-types. On peut ainsi générer des arbres « phylogénétique » qui affinent la classification et reconstitue l’historique de leur évolution à l’image d’un arbre généalogique. Le séquençage permet également, à l’image de ce que fait la police scientifique, de réaliser des enquêtes épidémiologiques très utiles pour reconstituer la diffusion des virus, par exemple enter la faune sauvage et un élevage.

 

Actuellement 2 sous-types circulent chez l’homme : H3N2 et H1N1. Chez les volailles c’est la souche H5N1 qui diffuse actuellement.

 

 

3.  Évolution des virus grippaux

 

 

Comme pour tous les êtres vivants, les mécanismes assurant l’évolution et la survie des espèces passe par la génération d’organismes génétiquement différents qui seront soumis à pression de la sélection naturelle. La diversité génétique assure une meilleure adaptation aux changements environnementaux, climatiques…

 

Pour les virus grippaux 2 mécanismes permettent cette diversification.

 

·         Le premier est très répandu dans le monde des virus. Il utilise le manque de fidélité de la polymérase virale qui fait des « erreurs » en créant les nouvelles copies de l’ARN viral car elle ne possède pas de fonction « correctrice ». Ce défaut est finalement un avantage puisqu’il conduit à créer des virus fils légèrement différents de leur parent. Les nouveaux virus persisteront s’ils ont un avantage sélectif : meilleure liaison au récepteur de l’hôte, capacité de multiplication augmentée et surtout échappement au système immunitaire de l’hôte (naturel ou post-vaccinal). C’est ce qui se passe avec les différents variants du SARS-CoV-2. Ces modifications sont souvent minimes et modifient peu le sous-type viral : de manière imagée on pourrait dire par exemple que, si on reprend le cas des virus grippaux, l’on resterait dans la famille H3N2 avec de multiples cousins. Ces nouvelles souches restent en général partiellement sensibles à l’immunité acquise avec les souches parentales. L’enjeu des vaccins anti-grippaux produits tous les ans est d’inclure les souches émergentes repérées dans l’hémisphère sud pour optimiser la réponse immunitaire des individus les plus fragiles. Mais ce mécanisme peut malgré tout être à l’origine de la rupture de la barrière d’espèce et c’est ce qui semble expliquer la pandémie de grippe espagnole de 1918. Dans ce cas, un virus strictement aviaire a acquis à la fois une forte transmissibilité inter-humaine et un haut pouvoir pathogène.

 

 

 

·         Le deuxième mécanisme est plus préoccupant car il génère des virus très différents et on parle de cassure antigénique. Il est lié à l’organisation génétique particulière des virus grippaux. Dans les situations de diffusion importante des virus grippaux, un hôte peut se contaminer avec plusieurs sous-types qui pourront ainsi coexister et se multiplier dans une même cellule. L’empaquetage des ARN se fera de manière aléatoire et pourra générer de nouvelles combinaisons. Par exemple une cellule infectée par un virus humain H3N2 et un virus aviaire H5N9 pourrait produire un virus H5N2 très différent du virus humain circulant. Si ce nouveau virus est capable de se multiplier chez l’homme et possède un caractère pathogène marqué on se trouve en présence de l’émergence d’une pandémie gravissime car il n’y aura pas d’immunité collective préexistante. C’est ce qui s’est passé lors des pandémies de 1957 et 1968. Le porc joue ici un rôle important car il est capable d’héberger à la fois des virus humains et des virus aviaires.

 

 

 

4.  Diffusion et impact de la grippe aviaire dans nos élevages

 

 

 

L’influenza aviaire (IA) est une maladie virale hautement contagieuse qui affecte à la fois les oiseaux domestiques et sauvages. Des virus de l’IA ont également été isolés, bien que moins fréquemment, chez des mammifères, dont les humains. Cette maladie complexe est causée par des virus divisés en de multiples sous-types (i.e. H5N1, H5N3, H5N8 …) dont les caractéristiques génétiques évoluent rapidement. La maladie survient au niveau mondial mais différents sous-types sont davantage prévalents dans certaines régions que dans d’autres. 

 

 

 

Les différentes souches de virus d’influenza aviaire peuvent généralement être classées en deux catégories en fonction de la sévérité de la maladie :  

 

·       -  Influenza aviaire faiblement pathogène (IAFP) provoquant généralement peu ou pas de manifestations cliniques ; 

 

·       -  Influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) pouvant entraîner de graves manifestations cliniques et éventuellement des taux de mortalité importants. 

 

 

 

Les souches FP sont très répandues chez les volailles domestiques ou elles donnent des formes cliniques modérées voire asymptomatiques. A l’inverse les souches HP sont à l’origine d’une mortalité très importante chez ces volailles alors qu’elles sont moins agressives pour la faune sauvage.

 

Ces souches HP peuvent donc être introduites dans les élevages lors des migrations des oiseaux en novembre décembre. Les oiseaux migrateurs viennent contaminer par leurs fientes l’écosystème proche des élevages notamment dans les zones humides. A partir de ce cas index de nombreux foyers peuvent se développer par transfert vers d’autres élevages. Ce transfert est facilité par la quantité considérable de virus retrouvée au niveau des poussières et de l’air ambiant dans les élevages contaminés. Évidemment des élevages confinés et ventilés constituent des usines à virus. Les mesures d’hygiène mises en place chez les éleveurs (diminution des échanges entre élevage, désinfection des bottes…) n’ont pas permis de diminuer cette progression.

 

Les oiseaux migrateurs ne sont surement pas les seuls coupables. Les échanges internationaux depuis l’Asie impactent très certainement la diffusion de ces souches. La promiscuité entre les humains, les porcs et les volailles, les marchés avec animaux vivants créent dans ces régions les conditions très favorables à l’émergence et à la diffusion de ces souches.

 

En tout cas depuis une dizaine d’années les foyers de grippe aviaire se multiplient à l’entrée de l’hiver. Il semble également que lors du retour des oiseaux au printemps une deuxième vague de contamination peut survenir. Les pouvoirs publics essayent de limiter ces foyers en imposant l’abattage des animaux des élevages contaminés, en définissant des zones d’isolement avec confinement des volailles.

 

La France n’est pas épargnée et en 2021-2022 la diffusion des souches HP a été dramatique. Un premier foyer d’influenza aviaire hautement pathogène a été détecté le 26 novembre dans un élevage commercial de poules pondeuses dans le département du Nord. Le 16 décembre, un foyer d’IA type H5N1 a été confirmé dans un élevage de canards prêts à gaver dans le Gers, premier foyer avicole mis en évidence dans le Sud-Ouest depuis le début de ce nouvel épisode. Depuis, plusieurs départements du Sud-Ouest ont été touchés avec de nombreux cas dans les Landes et les Pyrénées atlantiques, notamment. Alors que la situation commençait à se stabiliser dans le Sud-Ouest, les foyers d’IAHP ont fortement augmenté dans les pays de la Loire depuis fin février.

 

Dans deux départements (Vendée et Loire-Atlantique), une diffusion rapide du virus d’IAHP a ensuite été observée dépassant le nombre de foyers du Sud-Ouest.

 

À la date du 22 avril 2022, la France comptait 1 330 foyers d’IAHP hautement pathogène (IAHP) en élevage, 46 cas en faune sauvage et 30 cas en basse-cours.

 

 

4. Impact potentiel de l’IA sur la santé humaine

 

 

En général ces virus aviaires ne sont pas bien adaptés à l’homme. Cependant des cas humains parfois mortels sont régulièrement signalés mais ils restent limités et non extensifs. Ils nécessitent un contact étroit avec les animaux et une forte charge virale dans l’environnement.


 

Aucun cas n’a été signalé cette année en France malgré la progression massive de l’épidémie.

 

Cependant dans ce contexte de diffusion massive, l’apparition d’un nouveau variant plus permissif, apte à se propager facilement entre humains sans immunité collective, peut conduire à une nouvelle pandémie, et à des millions de morts.

 

 

 

5.   Incertitudes et controverses

 

 

 

Rôle et importance de la faune sauvage

 

Bien qu’il soit indéniable que les oiseaux migrateurs sont une source de contamination des élevages, la multiplication des échanges internationaux notamment en provenance d’ASIE joue très certainement un rôle important.

 

Concernant les migrations d’oiseaux, le contrôle des zones humides est également un point qui mérite d’être exploré.

 

 

 

Isolement et abattage

 

La situation récente a démontré l’inefficacité de ces mesures à limiter la diffusion de la grippe aviaire. L’abattage massif de plus de 16 millions d’animaux a eu des conséquences dramatiques en termes de logistique et bien entendu, avec un impact catastrophique sur les éleveurs.

 

Le confinement a aussi impacté massivement et principalement les élevages de plein d’air, les plus vertueux, mais inaptes à confiner leurs volailles.

 

Un changement de paradigme est nécessaire mais, il se heurte à la crainte toujours présente, de voir émerger une pandémie humaine.

 

 

 

Consommation des volailles contaminées

 

Il est acquis que ces animaux ne présentent pas de risque en santé humaine mais le dogme en contrôle sanitaire est de ne pas autoriser la consommation d’animaux malades.

 

 

 

Vaccination des volailles

 

Longtemps écartée cette stratégie revient sur le devant de la scène notamment à cause de l’échec des procédures de contrôle en vigueur. Des essais de vaccins sont en cours et ceux-ci pourraient être disponibles en 2023. Cependant, compte tenu que les vaccins grippaux ne sont pas efficaces à 100%, ils pourront surement limiter la diffusion, mais pas la contrôler totalement.

 

 

                                                                               Marcel Miedougé, Virologue - CHU Toulouse.